Douter, douter et encore douter

Du 6 jusqu’à aujourd’hui la Médiathèque Lucie Aubrac a proposé l’exposition : « Résister à la propagande de guerre ». 
Celle-ci a été rendue possible grâce au partenariat entre le comité du Mouvement de la Paix de Vénissieux et la Ville de Vénissieux.

Sur divers kakémonos, on peut lire ou voir les procédés et les processus de la propagande de guerre depuis le conflit de 14/18 jusqu’aux guerres contemporaines, pour révéler la constance et la répétition des mécanismes et des arguments exploités au fil du temps. 
Cette exposition s’articule autour de dix principes, décrits par Anne Morelli dans son livre « Principes élémentaires de propagande de guerre (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède…) » paru en 2001 et dont une version actualisée devrait paraître prochainement.
Cette exposition a fait le tour de France des grandes villes et Vénissieux a été l’unique étape en Rhône-Alpes-Auvergne.
Le 13 décembre, l’auteure, historienne et professeure de l’Université libre de Bruxelles spécialisée dans l’histoire des religions et des minorités a tenu une conférence-débat devant une assistance d’environ trente personnes.
Anne Morelli a d’abord évoqué pourquoi elle avait écrit cet ouvrage de 93 pages.
« Ce fascicule montre d’une manière simple comme l’on manipule l’opinion pour lui faire accepter une guerre dont elle n’a rien à faire. Si l’on regarde ces principes, dans les guerres plus récentes, ils s’appliquent : « Nous ne voulons pas la guerre, on fait cela toujours. Nous sommes des doux, des pacifiques.  Eux, en face, ils veulent la guerre. Tout est leur faute ». 
Ces principes fonctionnent car ils s’appuient sur des principes psychologiques élémentaires. Comme quand nous étions petits et que l’on tapait sur un autre gosse, on disait c’est lui qui a commencé. Et de ce fait, on est tout à fait pardonné car étant en état de légitime défense.  Entre les États c’est la même processus.  C’est toujours l’autre qui a commencé. Un autre principe qui est important, est que l’autre camp est gouverné par un monstre. Pendant la première Guerre mondiale c’était le Kaiser Guillaume ; Hitler ensuite en 1939. Dans les guerres récentes, c’est Kadhafi, Saddam Hussein, MIlosevic.  Est-ce que ces gens sont plus monstrueux que les chefs d’en face ? C’est loin d’être prouvé. Mais il faut que la haine de la population se concentre sur un personnage.  On ne va pas faire la guerre à tous les Afghans, mais à Ben Laden ! On ne va pas faire la guerre aux Libyens, mais à Kadhafi. Aujourd’hui, on ne fait pas la guerre aux Russes, on fait la guerre à Poutine.
Cette rhétorique est très classique ! Le chef du camp adverse, il est malade donc il essaye de se défouler dans la guerre. Il boit du sang. Cela revient souvent dans la propagande guerrière. Il y a aussi la volonté de présenter le conflit sous des motifs nobles. Alors que toute guerre est motivée par un facteur économique ou géostratégique. Mais de cela on n’en parle pas. On ne va pas évoquer le gaz ou le pétrole mais on va dire que l’on se bat pour la liberté, pour la démocratie. Lors de la première Guerre mondiale, c’était déjà le cas. Nous nous battions pour le droit et la liberté.  Alors que c’était pour la Lorraine sidérurgique.  Sur les monuments aux morts, il y a marqué la devise : droit et liberté. L’ennui, c’est que du côté allemand, ils croyaient se battre aussi pour le droit et la liberté. Les démocraties pendant la première Guerre mondiale et c’est assez étonnant, se battaient aux côtés du Tsar de Russie : un grand démocrate!  Aujourd’hui c’est pareil, il y a des émirats qui sont dans notre camp, mais pour lesquels, il faudrait jeter un voile pudique sur leurs agissements. Un autre aspect de cette propagande guerrière est qu’il faut qu’il y ait unanimité. Il faut montrer que les vedettes, les artistes, les intellectuels participent à cette guerre. Et dire aussi : Pour nous tout va bien. Depuis février d’ailleurs tout va bien chez nous.. Nous volons de victoire en victoire. En face, il y a plein de déserteurs. On fait plein de prisonniers. C’est faux évidement mais cela encourage l’opinion publique. Ce qui est bon aussi c’est de montrer que l’autre camp fait des atrocités sciemment. Tandis que nous, on fait la guerre humanitaire. De temps en temps, on fait une petite bavure. Donc involontaire, même si on bombarde toute une ville adverse comme Belgrade.  Tandis que les autres sont des criminels. Ils ont avec eux des mercenaires. Ces principes sont les discours des médias mainstream d’aujourd’hui. Comment appelle-t-on les industriels qui réussissent en Russie ? Des oligarques ! Tandis que chez-nous, on pourrait dans leur cas utilisé le même vocable. Car si vous voulez-vendre des armes ce qui est le cas d’oligarques français, il faut vendre la guerre d’abord
».

À la question posée : « Sommes-nous aujourd’hui mieux armés pour y résister ? Est-ce que nous avons les bons outils de décodage »; Anne Morelli répond :
« En histoire, il est facile de nos jours d’expliquer comment se sont déroulées les Croisades. On connaît le point de vue des Chrétiens occidentaux, orientaux, Arabes, Juifs et on obtient une analyse réaliste.  Mais quand cela se passe au moment même, on n’a pas le point de vue de l’ennemi. Je ne l’ai pas eu de la part des Irakiens quand on leur a fait la guerre, je n’ai pas le point de vue des Russes aujourd’hui. On a fermé Russia Today en Français qui était la seule chaîne qui nous donnait un avis différent.  Nous avons que le point de vue qui nous est donné. En terminant la conférence, je dis toujours : Il l y a trois choses à faire pour resister : douter, douter et encore douter. Parce quand on nous dit les méchants ont fait cela, les gentils sont cela, ce qui est manichéen. Nous sommes le camp du bien et en face c’est le camp du mal. Peut-être que cela n’est pas aussi simple que cela ».

À la question de savoir, comment le Français de base peut-il résister à de telles propagandes ? Anne Morelli explique : 
« Il faut essayer d’avoir le point de vue des autres ce qui n’est pas facile à l’instant même.  Nous connaissons souvent la vérité, mais dix ans après.  Pour le Kosovo, Bernard-Henri Levy disait qu’il y avait 500 000 morts, alors que dix après, on a su que c’était de l’arnaque et alors cela paraît en page 18 du Soir en Belgique.  Il y a eu Colin Powell à l’ONU avec sa petite fiole qui dit nous avons la preuve que l’Irak a des armes de destruction massive.  Mais à cette époque-là, personne ne lui a dit : Est-ce que je peux l’analyser votre fiole ? Lors de la première guerre d’Irak, il y a eu une médiatisation sur les bébés koweïtiens qui avaient été arrachés à leurs couveuses. Des années plus tard, on dit que c’était une blague. Une blague qui a coûté des milliers de vies humaines. Parfois mes étudiants demandent si ces hommes-là ont été punis pour dire de tels mensonges. Bien-sûr que non ! 
La différence entre la guerre de 1914 et maintenant, est que durant la première,  la propagande était artisanale alors qu’actuellement elle est conduite par des agences de communication et de publicité qui manipulent avec un plan établi par de faux témoignages. Aujourd’hui que fait Madame Zelenski, quel est son métier ? Sinon être à la tête d’une entreprise de communication !

Quant aux réfugiés, en 1914, il y a eu 1 300 000 Belges qui ont fui le pays. Un fait qui a été mis en exergue par la propagande. Car il est la preuve de la barbarie de l’ennemi. Dans un premier temps, il y a toujours un accueil chaleureux parce qu’e cela touche l’opinion publique.  On ne va pas naturellement accueillir de la même façon, des gens qui fuient l’Éthiopie, le Yémen, là il n’y aura pas des bureaux de bienvenu comme j’ai vu à la Gare du Nord pour les réfugiés ukrainiens, blancs, avec des yeux bleus.».

L’élan de solidarité est-il instrumentalisé ?
« Une photo d’une petite fille qui pleure cela vaut mieux que tous les discours et les analyses politiques ».

N’avez-vous pas peur que l’on vous traite de complotiste ou de Pro-Poutine?
« Votre question est le dixième principe de propagande de guerre.  Celui qui ne véhicule pas la pensée unique de la propagande, il est forcément un agent de l’ennemi. Pendant la guerre contre l’Irak, ceux qui mettaient en doute, étaient de agents de Saddam Hussein, donc des traitres ».

Les dix principes de la propagande guerre selon Anne Morelli :

  1. Nous ne voulons pas la guerre ;
  2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre ;
  3. Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l’affreux de service ») ;
  4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers ;
  5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement ;
  6. L’ennemi utilise des armes non autorisées ;
  7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes ;
  8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause ;
  9. Notre cause a un caractère sacré ;
  10. Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.

Principes élémentaires de propagande de guerre (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède…) – Éditeur :Labor – Collection Quartier libre – 93 pages

Née le 14 février 1948, Anne Morelli est une historienne belge d’origine italienne, spécialisée dans l’histoire des religions et des minorités.
Docteure en histoire, elle est directrice adjointe du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’Université libre de Bruxelles (ULB), université où elle enseigne également la critique historique, les contacts de culture, l’histoire des religions et la didactique de l’histoire.
Se déclarant d’extrême gauche et athée, Anne Morelli est connue pour ses prises de position concernant la propagande de guerre, ainsi que sur les sectes.

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