Dans le cadre du festival Lumière, rendez-vous incontournable du cinéma de patrimoine. En partenariat avec l’Institut Lumière, le cinéma Gérard-Philipe propose le 18 octobre à 20h, une séance exceptionnelle de 12 hommes en colère réalisé par Sidney Lumet en 1957, film en noir et blanc présenté par le comédien Samir Guesmi.
Maintes fois programmé à la télévision, ce huis-clos d’un jury populaire est un des trésors de la cinémathèque.
Au palais de justice de New York, un jeune homme issu des quartiers populaires est jugé aux assises pour le meurtre de son père. Il encourt la peine de mort. C’est la fin de l’audience et le jury, composé de douze hommes, se retire dans la salle de délibération avec pour responsabilité d’établir à l’unanimité́ la culpabilité ou non du jeune homme.
Au vu des éléments exposés lors des plaidoiries, le cas paraît évident et la responsabilité́ du jeune homme semble établie. C’est la journée la plus chaude de l’année, l’air est très lourd. Pour ne pas perdre de temps et permettre aux uns et aux autres de retourner rapidement à leurs occupations, le président de séance propose de procéder sans tarder à un vote pour vérifier l’unanimité́ des avis. Onze jurés votent coupable mais un juré, le juré n° 8, vote non coupable. Il soutient que la vie d’un homme est en jeu et, tout en affirmant que le jeune homme est peut-être coupable – il ne le sait pas –, il lui semble nécessaire de prendre le temps d’en parler. « Vous étiez onze à voter coupable ; Je ne peux pas lever la main et envoyer un gosse à la mort sans en discuter » dira-t-il. Pour le faire changer d’avis et trouver un consensus rapide, les onze autres jurés lui exposent les raisons de leur vote. L’examen d’une des preuves – l’arme du crime – révèle pourtant que ce qui semblait indubitable est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît. Un deuxième juré se range alors du parti du juré n° 8 ; il faut à l’évidence prendre le temps de discuter sérieusement.
Les esprits s’échauffent, les corps transpirent et, au fil de l’examen des témoignages à charge contre le jeune homme, des divergences commencent à se faire jour au sein du groupe, qui en vient presque aux mains…
Si la vedette du film est Henry Fonda, le fameux jury n°8 très au-dessus de la mêlée, Lee J. Cobb joue le juré sans a-priori.
C’est un film presque sans action mais prenant. Le film apparait ainsi violemment tendu entre deux conceptions de la justice, dépassant les désaccords entre jurés. Une première, incomparable, univoque, hors du monde et surplombant les hommes; et une autre, ancrée dans l’humain, horizontale et soumise à débat ; mais mettant en avant toutes les deux, au travers du personnage d’Henry Fonda, la place essentielle de l’individu dans le groupe et plus largement, dans la société́
Quant au réalisateur qui a été souvent été considéré comme un technicien efficace, avec « Douze hommes en colère » Sydney Lumet est l’un des œuvres majeures de ce cineaste qui n’a eu cesse de creuser la question de l’individu aux prises avec son milieu et sa conscience.
Premier film, premier coup de maître: avec Douze hommes en colère, le jeune réalisateur Sidney Lumet innovait doublement. Par une prouesse technique d’abord: exemple paroxystique du huis clos, son film confronte un jury de douze hommes dans un espace unique, et presque en temps réel. Mais aussi par son propos, vibrant plaidoyer pour une justice plus égalitaire, toujours d’une effrayante actualité soixante-cinq ans après la sortie du film.
Par l’intermédiaire d’Henry Fonda, le juré réfractaire, Sidney Lumet pose cette question quasiment insoluble: est-il possible de rendre une décision véritablement juste, c’est-à-dire totalement extérieure à des considérations personnelles? C’est tout le sens de ces apartés entre les jurés, qui, lorsque les débats s’éternisent ou semblent bloqués, lient connaissance, parlent de leur vie, de leur parcours ou de leur éducation… Sidney Lumet s’applique à décrire l’individualité de chacun des personnages, en les plaçant toujours adroitement dans le cadre. Chaque plan n’inclut en effet que le ou les jurés qui vont faire avancer le récit, soit par leurs déclarations, soit par leurs attitudes ou encore par un visage muet et consterné qui marquent un revirement ou un doute dans l’esprit du personnage…
Chacun des douze jurés est représentatif d’une certaine Amérique. Pas de femmes, encore moins de minorités (et pourtant, ces Blancs vont statuer sur le sort d’un homme de couleur, détail également important), mais des classes sociales et des origines différentes. Sidney Lumet rend d’abord hommage à la justice de son pays, qui n’autorise l’envoi d’un homme à la mort que s’il est unanimement déclaré coupable. Le système du «doute légitime» et de la nécessité pour l’accusation de prouver la culpabilité de l’accusé (à l’inverse d’autres systèmes où c’est à la défense de prouver l’innocence), n’est pas remis en cause. Ce que Sidney Lumet attaque en profondeur n’a pas grand-chose à voir avec les lois, mais avec ce qui les entourent: comme, par exemple, l’incompétence d’un avocat commis d’office, non convaincu de l’innocence d’un « client » trop pauvre pour rémunérer un meilleur défenseur…
Sydney Lumet a réalisé en outre « La colline des hommes perdus en 1965, « Serpico » en 1973, « Un après-midi de chien » en 1975…
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