Mon cher Michel (*),
Il n’y a pas que le football dans la vie. D’ailleurs, tu t’es découvert une nouvelle passion pour la politique. Et visiblement les idées qui t’horripilent sont celles défendues par ceux qui n’ont pas de dents. Tu vois j’utilise une expression prononcée par un personnage que je préfère oublier. Visiblement les tiennes d’idées sont à l’opposée et penchent plutôt du côté de quelques nostalgiques de la francisque et de quelques startuppers de l’ultra libéralisme. Etonnant de la part d’un fils de migrants fuyant la misère et le fascisme transalpin. Comme aurait Georgius, célèbre chansonnier des années 1930 : «Quand les andouilles voleront, tu seras chef d’escadrille. Quand elles auront des éperons, tu seras chef d’escadron.»
Michel, c’est un conseil, mais tu devrais prendre garde car ces défenseurs du travail, de la famille et de la patrie, on les a déjà vu à l’oeuvre en Europe pendant quelques décennies.
Michel , puisque tu en sais trop sur le sujet de par tes origines, tu devrais cependant te rafraichir les idées en te faisant une toile sur les méfaits du fascisme par exemple : « Une journée particulière » . Ce film d’Ettore Scola pourrait tout à fait te convenir, bien sûr question racines. Il pourrait aussi te demontrer la profondeur abyssale de ton inculture, et l’absence de recherche sur les sujets que tu abordes.
De par mes origines, je vais plutôt t’évoquer, ce qui est arrivé sous la dictature de Franco, un fasciste qui a mis à feu et à sang ce fier pays sous les regards compatissants des démocraties américaine, anglaise et française. N’est-ce pas Messieurs Daladier, Sarraut…et bien d’autres?
Outre le fait que l’Espagne ait fait un retour à marche forcée vers le Moyen-Age inquisiteur à coup de fusillades et de tortures, ses sbires ont enlevés près de 300 000 enfants à leurs familles en une quarantaine d’années. les enfants étaient déclarés comme étant morts-nés et placés ensuite dans des familles soutenant les idées de ce nodocéphale. Cette pratique, quasi systématique, s’opérait avec la complicité du personnel hospitalier, sous l’égide conjointe de diverses autorités religieuses.
L’enlèvement de nouveaux-nés a démarré dans les prisons du franquisme pendant la dictature. Après la mort de Franco, les vols de nourrissons se sont prolongés sous la démocratie, jusque dans les années 1980. Des décennies après ce scandale, le procès des « bébés volés» s’est ouvert le 26 juin 2018 à Madrid. Lors du verdict prononcé le 8 octobre de cette même année, un ex-médecin a été reconnu coupable mais non condamné en raison de la prescription des faits.
Et oui, la constitution promulguée par les descendants de ce triste fasciste comporte des clauses les protégeant et qui sont toujours applicables.
Récemment, un père « courageux» a raconté dans un roman l’odyssée pour retrouver son fils volé. Ce père s’appelle Luis Vega Luna . Il a publié : « Volé », un livre dans lequel il décrit le travail de détective effectué au cours de la dernière décennie pour retrouver la trace de son fils né en 1977 et dont il ne possède pas un seul document qui prouve sa mort à la naissance, comme on le lui a assuré à la maternité.
Michel, pour la suite de ce récit, je t’ai traduit l’excellent article d’Ana-Maria Pascual du journal « Publico »
« Le 20 novembre 1977. Luis Vega Luna, 29 ans, diplômé en administration des affaires, reçoit une nouvelle qui le marquera pour le reste de sa vie. Après l’accouchement de sa femme dans une prestigieuse clinique privée de Madrid, les médecins lui annoncent que celle-ci a mis au monde des jumeaux, une fille et un garçon mort-né. « Le bébé est en très mauvais état, avec des malformations et une apparence très désagréable ; ses fesses ne sont pas formées et il a des malformations aux mains », lui ont dit à l’époque les médecins. «Nous nous occuperons de tout », lui ont-ils assuré au sujet de l’enterrement de l’enfant.
Jusqu’au 27 janvier 2011, Luis Vega a vécu paisiblement avec sa femme, son fils aîné et sa fille, la jumelle née le 20 novembre 1977. Mais à partir de ce moment-là, il a commencé une quête, qui se poursuit aujourd’hui, pour retrouver le bébé que les médecins de la prestigieuse clinique lui ont fortement déconseillé de voir. Un bébé mort, pesant deux kilos et demi. Des années plus tard, ces phrases prendront un sens différent, lorsque Luis découvrira que son fils n’a pas été enterré. Il se retrouve face à une série d’indices et de questions qu’aucune administration – ni la justice, ni les autorités sanitaires, entre autres – n’ont pu lui fournir à ce jour. Afin de faire connaître l’intense processus de recherche de Luis Vega, celui-ci a écrit un livre, « Robado » Édition Edinexus ( Robado = Volé). Sa recherche est en réalité une véritable aventure, avec des détectives privés, la localisation de personnes qui pourraient être le fils qu’il cherchait, des entretiens avec des procureurs, des liens avec d’autres personnes concernées… Un condensé d’expériences, bien racontées, qui font de ce livre une émouvante radiographie de chaque démarche réelle entreprise par ce père pour connaître le sort de ce fils qui aurait maintenant 44 ans.
Luis a acquis la conviction que son fils n’était pas mort lorsqu’il a appris par la presse que des centaines de personnes touchées par ce que l’on a commencé à appeler en 2011 : « le vol de bébé » s’étaient unies et qu’elles allaient déposer une plainte commune auprès du bureau du procureur général. Dès lors, il s’est mis à la recherche des documents prouvant la mort du bébé, comme on le lui avait assuré à la maternité. Cependant, il n’a pas trouvé et ne dispose toujours pas de documents attestant du décès : le dossier médical de sa femme n’a pas été retrouvé car la clinique affirme ne pas conserver les anciens documents ; il n’y a aucune trace d’un quelconque fœtus né de Luis et de sa femme, selon les services funéraires de Madrid ; et il n’y a aucune trace de l’acte d’avortement de sa femme dans le registre civil, comme cela devrait être obligatoire dans le cas des nouveau-nés qui meurent à la naissance. Si la mort d’un enfant ne peut être prouvée, c’est qu’il n’est peut-être pas mort, telle était la conviction de Luis lorsqu’il a décidé d’investiguer…Pour cet homme, né à Larache (Maroc) en 1948, son livre est un « plaidoyer sur le problème des bébés volés», afin qu’il ne soit pas oublié et que le rôle de la justice et des autres institutions qui n’ont pas tout fait pour résoudre nos demandes soit compris », dit Luis. Il prévient dans son livre que « la politique ne joue aucun rôle dans cette histoire. Et si quelqu’un essaie de trouver le moindre sous-entendu politique, je pense qu’il se trompe. Il décrit le phénomène des « bébés volés » comme un commerce sans scrupules. Sa « désillusion» vis-à-vis de la justice a commencé lorsque le bureau du procureur général a classé sans suite la plainte commune de centaines de personnes concernées, à laquelle il s’était joint. Il décide alors de se mettre à son compte pour résoudre l’énigme concernant son fils. Il a engagé un détective qui lui a fourni une liste d’hommes nés à Madrid le 20 novembre 1977. La liste a donné 56 noms. « L’un de ces 56 pourrait être le garçon que nous recherchons. Mais si ce n’était pas le cas ? S’il ne voulait pas être localisé ? S’il ne reconnaissait pas ou n’acceptait pas d’être volé ? Si, pour ne pas contrarier ses parents, il refusait tout contact ? Et si ……. ? », peut-on lire dans un passage de « Robado ». L’argument de Luis Vega pour réduire cette liste était le suivant, comme le reflète son travail : « Qui pourrait être intéressé par l’obtention d’un fils ? Il semble raisonnable de penser à quelqu’un qui ne pourrait pas les avoir. De ce raisonnement, on a déduit que le garçon devait être un fils unique ou premier-né ». Sur cette base, il a écarté 19 garçons de la liste. « Un autre raisonnement était que les parents devaient avoir une trentaine d’années. Dans les années 1970, il y avait très peu de cas de mères primipares qui avaient déjà la trentaine ». En analysant les actes de naissance littéraux, il a réussi à réduire la liste à treize personnes, en écartant les autres parce que leurs mères avaient moins de trente ans au moment de l’accouchement. À la mi-2015, Luis Vega a saisi la justice avec ces treize noms, dans l’espoir que le juge soit favorable à une enquête pour parvenir à une conclusion, mais rien n’est venu de la procédure judiciaire. « Dans les nombreux cas que je connais de bébés volés, le résultat de leur poursuite a été un fiasco absolu. La grande majorité d’entre elles ont été provisoirement classées, sans que le bureau du procureur ne propose de mesures pour aller de l’avant », peut-on lire dans le livre.
Dans son roman, Vega raconte avec une tristesse particulière l’approche de l’un de ces treize garçons, qui, selon une enquête approfondie, présentait des signes d’avoir été un enfant approprié, c’est-à-dire un enfant qui n’a pas été légalement adopté, mais dont la naissance a été attribuée dans le registre civil à des parents autres que ses parents biologiques. Mais le juge a empêché l’enquête sur la naissance ».
Mon cher Michel, j’ai pensé à toi à ce moment de l’article de ma consœur hispanique.
« Luis Vega explique que la décision de parler à sa famille et à ses amis du projet qu’il avait entrepris dans la conviction que son fils n’était pas mort a été difficile à prendre, même si, dit-il, il a été accueilli avec compréhension par presque tout le monde. Parmi ses amis, l’ancien juge Baltasar Garzón. (Celui est connu à l’étranger comme juge d’instruction pour ses enquêtes sur des affaires de terrorisme, de corruption sur des crimes commis en Argentine et au Chili par les dictatures en place. Encore un que tu n’estimerais pas trop ). Pour Baltasar, il était très frappant que cela se soit passé dans cette clinique, car il se souvenait de quelque chose qui s’était produit lorsque sa fille était née dans cette même maternité. Il m’a dit qu’il avait assisté à l’accouchement, qu’il avait été témoin de la naissance de l’enfant et qu’il était présent tout le temps. Cependant, lorsqu’on lui a remis le certificat de naissance, il s’agissait d’un garçon. Lorsqu’il a porté ce fait , la clinique lui a fait un autre certificat de naissance sans détruire celui qui était erroné. Il a regretté de ne pas l’avoir eu entre les mains depuis longtemps et, nettoyant la paperasse, il l’a jeté pour cause d’inutilité. Elle aurait pu servir de preuve indirecte » indique le livre. Celui-ci n’oublie pas la religieuse qui travaillait comme assistante sociale dans la prestigieuse clinique où Luis et sa femme ont atterri ce jour de novembre 1977. Sœur Pura a été l’intermédiaire de centaines d’adoptions, souvent irrégulières, qui ont eu lieu dans les années 70 à Madrid. « Tu Casa » est le projet de Sœur Pura. Il consistait en une sorte de chalet dans la Calle Rodríguez Lázaro, 13, à Madrid, là où jusqu’à 60 femmes furent prises en charge. Elle reconnaît que 40 % de ces femmes ont abandonné leurs enfants, pour lesquels elle a organisé l’adoption correspondante » peut-on lire dans le livre. Luis a rencontré plusieurs de ces enfants, aujourd’hui adultes, qui cherchent encore leur vraie famille. De nombreuses femmes enceintes célibataires n’ont eu d’autre choix que de donner leur bébé à Sœur Pura, contraintes par la coercition ou la nécessité, répudiées par une morale patriarcale qui conditionnait la vie des femmes espagnoles pendant la dictature et le début de la démocratie ».
Et oui mon cher Michel !
« Luis Vega conclut son livre par une revue des cas les plus significatifs du complot des enfants volés et par la seule condamnation prononcée à ce jour, celle du docteur Eduardo Vela, bien qu’il n’ait pas été poursuivi pénalement en raison de la prescription. Peu après, la plaignante, Inés Madrigal, a appris que sa mère l’avait donnée en adoption et qu’il ne s’agissait pas d’un bébé volé dont Vela aurait fait la traite. Cette nouvelle a servi à attaquer le collectif des « bébés volés » de certains côtés, mais « il ne faut pas oublier que le docteur Vela a été jugé et reconnu responsable de l’accouchement présumé et de la falsification de documents, indépendamment du fait que la mère d’Inés l’a abandonnée volontairement », souligne Vega. »
Ainsi, mon cher Michel, se passait la vie dans la très sainte et apostolique Espagne franquiste ou fasciste comme cela t’arrange ! Une époque que je ne tiens pas à revivre et qui pourrait se reproduire suite aux idées que tu défends.Michel, je ne te dis pas à bientôt. Mais plutôt adieu et ce en me forçant à rester poli !
(*) prénom d’emprunt
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